On souhaite à tout le monde de rencontrer l’une de ces personnalités inoubliables, lumineuses qui vous marquent pour la vie. Ces gens auxquels on pense souvent et que l’on n’oubliera jamais même si des océans nous séparent. Pour nous, depuis 2013, Anatole Gouba fait partie de ceux-là.

 

[ Trouver sa voie entre espoir et chaos ]

 

Anatole est né il y 50 ans en Haute-Volta, bien avant que le pays ne devienne le Burkina Faso, « pays des hommes intègres ». En découvrant son parcours et ses choix, on peut dire que la signification du nom de son pays lui va comme un gant.

Après avoir décroché son baccalauréat, le voilà prêt à emprunter le chemin de l’université grâce à une bourse. L’aide financière indispensable à ce jeune homme né dans une famille modeste lui échappe à cause d’un obscur décret octroyant la bourse aux seuls natifs des trois derniers mois de l’année…. Et Anatole est né en juillet ! Dépité, il décroche un petit contrat et travaille pour le ministère de l’agriculture. Près de 2 ans après l’obtention du bac, l’Etat rectifie le tir et lui offre la possibilité d’entrer en fac d’anglais. Passé à autre chose, démotivé et peu assidu, il ne valide pas le diplôme.

En 1994, plein d’espoir, il s’envole pour Francfort… Quinze jours après son arrivée, le visa pour l’Allemagne devient obligatoire. A priori, deux choix se présentent : rentrer au pays ou demander l’asile politique. Pas résigné mais intègre, Anatole cherche une autre voie. Travaillant comme cuisinier à temps partiel, il s’inscrit à l’ASV Cologne et court son premier marathon en 1996. L’année suivante, il bat le record burkinabé au marathon de Francfort en 2h37mn. Anatole a trouvé sa voie.

 

 

Mais il n’a pas de titre de séjour, pas d’argent et contrairement à une pratique courante, il n’envisage pas de se marier en Allemagne pour pouvoir rester. Avec franchise, il évoque son retour au Burkina Faso.

« Quand tu pars, personne ne sait que tu vas en Europe. Mais quand tu reviens, tout le monde attend ton arrivée… comme le messie. Gare à toi si tu n’as pas « réussi ». Apprendre à courir au lieu de gagner de l’argent, quel imbécile ! Mieux vaut ne pas revenir bredouille, tout n’est que mépris car tu n’as pas sauvé ta famille de la misère. Si les européens savaient comment se passe le retour…»

 

[ L’honneur ou la course ? ]

 

Déstabilisé, Anatole fera des dizaines de petits métiers pendant les années qui suivent. Jusqu’à ce qu’il rencontre et épouse en 2003 celle qui partage sa vie. Ils vivent « une vie de gitan » jusqu’à la naissance de leur fils en 2004. Côté course, un désert ! Le marathon n’existait pas à cette époque au Burkina Faso. Anatole a couru le premier véritable marathon dans son pays en 2008 et s’est classé deuxième, à 38 ans.

Malgré l’adversité et fidèle à lui-même, il n’en démord pas et voit même la course à pied comme un élément fédérateur dans un pays où se côtoient de nombreuses ethnies. Il appartient à l’ethnie Bissa mais l’épopée pédestre des ancêtres Mossi fait partie de l’histoire du pays. En 2013, Anatole sollicite et reçoit le soutien du roi de l’ethnie Mossi pour se lancer en solitaire dans cette course de 7 jours sur 360 kilomètres. A chaque arrêt sur le trajet, les questions pleuvent. Au terme du parcours, il est tout de même accueilli avec les honneurs. 

« Pour certains, c’était de la folie, pour d’autres, ça cachait quelque chose. La plupart étaient sous le choc car marcher leur semblait dément ou mystérieux. » 

Depuis, Anatole a couru et toujours terminé dans les 5 premiers des marathons burkinabés. Grâce à quelques primes obtenues ainsi, son épouse a pu retourner à l’école qu’elle avait quittée en cinquième et obtenir son brevet à 30 ans en 2011. Il est fier (et il a raison) qu’elle ait ensuite réussi un concours qui lui permet de travailler toujours aujourd’hui pour le ministère de la santé. 

 

[ Notre rencontre ]

 

2013 fut une année charnière pour Canal Aventure et pour Anatole Gouba. Pour nous, après avoir organisé la première édition de l’Ultra AFRICA Race au Cameroun, nous arrivons au Burkina Faso pour la seconde édition de notre course africaine et pour lui « découvrir que je n’étais pas le seul fou qui aimait courir ».

 

 

Anatole a couru avec nous deux courses au Burkina en 2013 et 2015. Même si la situation politique du pays nous a conduits à annuler l’édition 2014 et empêchés de poursuivre l’aventure là-bas, il se souvient de ses amis venus courir ici, comme lui.

« Comme une consécration, une réussite. Ça a changé les regards…. Beaucoup pensaient que courir avec des gens venus de si loin signifiait que j’étais riche. » Depuis, les photos prises à l’époque ne quittent pas son sac à dos, comme un témoignage. « Aujourd’hui, J’ai la preuve que ce sont mes compatriotes qui sont en retard. Pour comprendre, il leur faut voir que des blancs sont avec moi et croire que je suis récompensé en argent. C’est faux mais je préfère ça. »

 

 

[ Eveiller les consciences ]

 

Quand il parle de « comprendre », Anatole fait référence à l’importance et l’utilité du sport. Lui qui précise « le sport est une partie de moi. Je cours à vie » sait combien être en forme à la cinquantaine et sans médicaments suscite le débat. Il souligne que le manque d’activité physique est devenu dans son pays un véritable problème de santé publique. Des maladies jusqu’alors inconnues sont apparues : diabète, hypertension, etc.

« Les avantages et dangers des nourritures modernes sont ignorés. L’obésité était un signe de richesse dans les années 80. On commence juste à comprendre l’utilité du sport mais beaucoup ne savent pas de déplacer de 50 mètres sans leur moto ! ». Même si la course à pied se porte mieux que lorsqu’il a débuté, il précise que « seul athlète de 50 ans encore dévoué au marathon, je parais mystérieux ».

 

[ Ces ultramarathons ont changé ma vie ]

 

Lorsqu’il parle de nos aventures en 2013 et 2015, Anatole livre spontanément une longue liste de noms et prénoms. Il n’oublie pas de remercier « tous ceux qui ont partagé des accessoires de course parce que je n’en avais pas ». Il dit avoir rencontré des gens fabuleux et être comblé. « Je ne peux pas écrire à tout le monde mais je les ai dans le cœur ». Aimé, Pedro, Juan, le couple Hendrick, Isange et le staff de Canal Aventure et André qui lui a permis de voyager en Guinée pour un marathon … sans oublier son amie Ita (Marzotto) qui « m’a donné l’Ultra Africa 2015 » et l’a soutenu lors du décès de son père en octobre 2019.

« Ses mots d’espoir sont gravés dans ma mémoire. Je suis comme un thaïlandais, je prends la vie avec le sourire. Je souris même quand je pleure et socialement, c’est interprété comme une réussite. »

 

 

Toutes celles et ceux qui ont vécu l’aventure avec nous seront heureux d’apprendre que – grâce à la situation professionnelle stable de son épouse  Anatole entame un cursus en licence d’anglais qui pourrait le mener vers l’enseignement… Tout en endurance, en petite foulée régulière, avec fougue et patience à la fois, à son image. 

 

 

Revoir le film de l’Ultra AFRICA Race 2013 au Burkina Faso 

 

Crédit photo : CanalAventure©V.Kronental