Il y a 10 ans Canal Aventure organisait son premier événement en Australie. Les anniversaires sont souvent propices aux bilans. Celui-ci nous rappelle l’importance cruciale de certaines rencontres sans lesquelles un projet aurait pu échouer. Coureur australien, Andrew Cohen fut un précieux soutien de la première édition de THE TRACK. Il est aussi l’un de ceux qui ont le mieux compris et apprécié la nature de ce projet.

 

Andrew se définit comme un coureur ordinaire avec une volonté supérieure à la moyenne et des compétences en gestion de projet. Avant THE TRACK, il avait couru plusieurs ultra marathons réputés et pensait que « l’aventure planifiée et le défi mental mis en avant dans les courses d’étapes convenaient à mon tempérament. »

D’un autre côté, il avoue faire partie des coureurs solitaires, pas vraiment motivés par la compétition.

« Je supportais à peine le battage publicitaire des lignes de départ, le fait de rencontrer occasionnellement d’autres personnes sur le sentier. J’étais conscient du fait que trop de compagnie pouvait vous distraire et je préférais être seul pour régler mes propres problèmes. Alors, un petit évènement dans la nature sauvage, avec quelques touches d’humanité m’attirait et me semblait plus authentique. » Aujourd’hui encore, dix ans après, il court chaque jour sur la plage ou les chemins mais rarement des courses. « Le plus grand changement- excepté mon âge – c’est que je ne porte plus de chaussures, mais c’est une autre histoire. »

 

 

THE TRACK : plus qu’une course, une odyssée…

 

Sa relation à la course à pied, Andrew l’a partagée dans un livre*. Son expérience sur cette première édition en 2011 fait l’objet d’un chapitre entier. Alors on le laisse parler….

« Comme la plupart des monstres, The TRACK était un projet hybride et magnétique. D’un côté, un sens très Français du théâtre de l’absurde qui avait déjà donné naissance au Marathon des Sables. De l’autre, le cœur de l’Australie comme décor avec un horizon sans fin et une sensation de néant. En mai 2011, 23 coureurs de 10 nationalités jouaient ce drame unique, faisant évoluer le script au gré de leur foulée, partant et arrivant loin de toute modernité. 

 

C’était le plus long tracé jamais vu dans l’univers des courses à étapes, s’étirant sur 520 km de la ligne de départ dans la trompeuse sérénité d’Ellery Creek dans les West McDonnell Ranges jusqu’au mont Uluru, émergeant de l’étrange terre sablonneuse de Desert Oaks. 

 

Au départ, il n’est pas rare d’être découragé par d’autres participants qui semblent plus jeunes, plus forts et mieux préparés pour le challenge. Même si la première impression est fondée, c’est rarement une garantie de leur aptitude à gérer ce qui va arriver. Très vite, on comprend que c’est un jeu de hasard, que personne n’est assuré d’être physiquement prêt pour un évènement de cette envergure. Et c’est bien ce que vous ne pouvez pas voir qui comptera le plus une fois la course lancée… la capacité à surmonter le doute sera tout aussi cruciale que la forme physique.

 

J’ai abordé THE TRACK avec le désagréable sentiment que je pourrais être dépassé et ne même plus pouvoir espérer aller jusqu’au bout. Tout ce que j’avais, c’était un puissant désir. Cette course était deux fois plus longue que toutes celles que j’avais déjà courues. Avec une moyenne quotidienne de 60 km parcourus sur un terrain difficile, des nuits glaciales sous des tentes dégoulinant de condensation et avec le mouvement permanent des souris ondulant sous le sol, des escadrons de mouches, aucun espoir de pouvoir se rafraîchir d’une glace et un objectif qui semblait s’éloigner toujours plus…

 

C’est dans ce genre de moments que vous finissez par faire des choses incroyables, inexplicables. C’est là que vous apprenez le plus sur vous-même, sur l’étendue de votre ignorance et comprenez pourquoi les choses que vous savez sont inutiles ici. Alors vous abandonnez vos doutes, vous revenez à votre rythme naturel : respirer, compter, écouter, gérer les ressources… fredonner, rire, serrer les dents, admirer. 

 

Et puis finalement, derrière la ligne d’arrivée, Uluru est apparue, statique, pâle, silencieuse et sage sous la pleine lune à minuit. C’était la fin de THE TRACK – la retombée de l’adrénaline, le début d’une douleur, comme un déluge d’émotions frappant un lieu désertique. Une galerie de souvenirs qui renvoie l’image d’une bande multicolore d’aventuriers rassemblés dans un trou perdu… Mais la nature profonde de cette course n’est pas quelque chose que l’on peut capturer en un instant, quantifier ni réduire à quelques paragraphes racontant l’histoire. 

 

Les vraies émotions de THE TRACK sont à l’abri dans un recoin de ma tête, prêtes à resurgir d’un seul coup dans un frisson que je ne peux pas partager ou dans un léger sourire qui sera le plus souvent mal interprété… Les longues journées et l’éloignement propres à THE TRACK sont l’ultime étape d’un voyage commencé il y a bien des années, une sorte d’odyssée. Après ça, rien n’est plus pareil. »

 

 

… Aux débuts controversés

 

Alors que nous préparions la première édition de THE TRACK, quelques voix australiennes se sont élevées contre l’organisation d’une telle course dans l’Outback, qui plus est par des étrangers.

 « Je me rappelle du scepticisme exprimé sur le forum CoolRunning. Il s’explique en partie par l’absence d’expérience et l’incompréhension des courses à étapes à l’époque en Australie. Aussi par la difficulté à croire que quelqu’un venant de si loin puisse organiser ici et avec succès un évènement de cette ampleur. La plupart des opposants semblait penser que le challenge ultime était une course de 100 miles courue d’une seule traite et jugeaient les courses à étapes moins ambitieuses. Ayant déjà couru le MDS, je pense avoir compris ce que Jérôme envisageait. Le détail du parcours montrait qu’il avait travaillé très sérieusement, l’évènement semblait possible et aussi un énorme challenge. Il méritait le respect rien que pour avoir essayé et d’être soutenu pour faire aboutir son projet. »

Un soutien spontané qui nous a fait du bien ! Mieux encore, après avoir terminé la course, Andrew a témoigné à haute voix de son ressenti dans un discours émouvant et nous a offert un tee-shirt signé par tous les participants. Quel plus beau témoignage pouvions-nous recevoir ?

 

 

Une réponse à la question qu’on ne lui a pas posée : Etes-vous prêt à retenter l’expérience ? 

« Sincèrement, si je peux m’organiser et que mon corps semble prêt pour une nouvelle bataille, 2022 pourrait être envisageable… Aucune autre course n’a laissé une empreinte aussi vive dans mon esprit et ne hante encore mes rêves par une bonne nuit.»

 

*Run Therapy: A Bitter Sweet Guide to Running, Evolution and Ice Cream.